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Haïti. Le CPT prépare des élections forcées dans un contexte antidémocratique

À 110 jours de la fin de son mandat et sous pression internationale, le Conseil présidentiel de transition (CPT) a annoncé une série de mesures visant à garantir la tenue d'élections dans un délai très court. Les organisations populaires expriment leur inquiétude face aux conditions qui entravent l'exercice de la démocratie.
Depuis son entrée en fonction à la tête du CPT en août dernier, Laurent Saint-Cyr a multiplié les déclarations concernant les préparatifs électoraux en cours. Selon lui, 65 millions de dollars ont déjà été débloqués et 85 % des bureaux de vote ont été identifiés par le Conseil électoral provisoire – qui, soit dit en passant, a récemment changé de président. Derrière ces chiffres et ces mesures se cache la nécessité de rassurer les créanciers internationaux qui ont soutenu la création du CPT en avril 2024, lui confiant la double mission de rétablir la sécurité et la démocratie dans le pays en 22 mois.
Le problème est que 18 mois se sont déjà écoulés sans aucun progrès sur aucun des deux fronts. Par conséquent, l'ONU ne cache pas son scepticisme. « Le temps passe. Je suis préoccupé par l'absence de perspective claire pour le rétablissement de la gouvernance démocratique », a déclaré le chef du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) devant le Conseil de sécurité le mercredi 22 octobre.
Rencontre d'Haïti avec Guterres
Depuis sa prise de fonction à la présidence du CPT en août dernier, Laurent Saint-Cyr (à gauche) a fait de nombreuses déclarations concernant les préparatifs en cours pour les élections dans le pays.
Alors que des rumeurs circulent quant à une prolongation du mandat du CPT ou au renouvellement d'un gouvernement de transition non élu, la pression internationale s'accentue pour garantir le respect de l'agenda. En particulier, les États-Unis, qui ont plaidé pour la création d'une nouvelle Force de répression des gangs soutenue par l'ONU, suivent de près la situation électorale, laissant entendre que le financement de ces contingents ne se ferait pas sans contrepartie.
« Le moment est venu pour le CPT et les autres membres du gouvernement haïtien de remplir leur rôle en présentant un plan précis, assorti d'un calendrier électoral, pour la transition politique », a déclaré l'ambassadeur américain à Port-au-Prince, Henry T. Wooster, début octobre, à la veille du voyage de Laurent Saint-Cyr à Washington.
Trois jours plus tard, le Conseil des ministres haïtien annonçait l'abandon d'un projet de nouvelle constitution que le gouvernement entendait encore adopter par référendum avant d'organiser des élections. Ce texte, perçu par les progressistes comme un recul par rapport à la Constitution en vigueur, a été abandonné sous prétexte d'accélérer le processus législatif. Les cinq millions de dollars dépensés pour sa rédaction ne seront pas restitués au peuple. L'attention se porte désormais entièrement sur le prétendu renouveau démocratique du pouvoir exécutif.
Un contexte défavorable
Si l'échec du projet de nouvelle constitution a été accueilli avec soulagement, plusieurs facteurs inquiètent les organisations et mouvements citoyens haïtiens. Le premier est le manque évident de temps pour mener à bien toutes les étapes d'un processus électoral, d'autant plus que la population est privée de son droit de vote depuis près de dix ans. Il est essentiel de mettre à jour les bureaux de vote et les listes électorales, notamment en ce qui concerne les 1,4 million de personnes déplacées qui ont fui leurs foyers en raison des violences.
Le second sujet de préoccupation est la situation du pays lui-même, en proie à des bandes armées qui contrôlent les principaux axes routiers et sèment la terreur dans les régions les plus peuplées. Elysée Luckner Vil, membre du comité de coordination du Mouvement démocratique populaire (Modep), partage les inquiétudes de nombreux Haïtiens : « Les deux départements comptant le plus d'électeurs, l'Ouest et l'Artibonite, sont ceux qui souffrent le plus de la pression des bandes. L'Ouest est le cœur politique du pays, où se trouve la capitale.» Imaginez le genre d'élections qu'on peut organiser sous le contrôle de membres de gangs !
Aujourd'hui encore, les déplacements terrestres entre les deux plus grandes villes du pays, Port-au-Prince et Cap-Haïtien, dépendent de pots-de-vin versés à des hommes armés, quand ils sont tout simplement impossibles. Dans ce contexte, il est difficile d'imaginer une campagne politique crédible. De même, il est difficile de croire que les habitants des quartiers contrôlés par les gangs puissent exercer librement et en toute sécurité leur droit de vote.
« En tant qu’organisation citoyenne, nous ne sommes pas opposés aux élections », explique Vil. « Le problème réside dans le calendrier et la manière dont elles se déroulent, lorsque les principes et les normes qui permettent à la population de voter pacifiquement et de choisir son candidat préféré ne sont pas respectés. »
À qui profitent des élections antidémocratiques ?
Depuis le début des années 1990, Haïti est marquée par des allégations d’irrégularités électorales qui ont non seulement conduit au démantèlement progressif de l’État, mais aussi à l’érosion de la confiance du public dans le processus démocratique. Lors des dernières élections présidentielles organisées dans le pays, en novembre 2016, le taux de participation n’a pas dépassé 21 %.

Il reste donc à voir dans quelle mesure il est judicieux de contraindre un processus électoral obsolète pour maintenir une apparence de normalité. À cet égard, l’insistance des États-Unis et des Nations Unies elles-mêmes à respecter le calendrier fixé, malgré la situation du pays et l’absence de garanties démocratiques, soulève de nombreuses questions. La plupart des organisations citoyennes opposées à ce programme imposé estiment que ces élections ne feraient que légitimer un gouvernement complice d'intérêts étrangers.
« Depuis le coup d'État contre Jean-Bertrand Aristide (le président renversé en 1991), nous n'avons connu que des élections truquées, où des pays comme les États-Unis et la France manipulent le processus électoral pour installer des gouvernements à leur solde. Aujourd'hui, le même scénario se répète : ils contraignent le CPT à organiser des élections pour poursuivre ce même projet », déplore Elysée Luckner. En réalité, que l'on fasse confiance ou non aux bonnes intentions de l'administration Trump, le contexte actuel de fortes tensions dans les Caraïbes et la position centrale d'Haïti dans ce scénario offrent des raisons objectives de craindre une stratégie impérialiste sur l'île.

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il y a 2 semaines

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