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Démanteler l'hégémonie du Nord BRICS par BRICS

L'hégémonie est le phénomène par lequel un groupe dirige l'ensemble en projetant ses intérêts comme étant l'intérêt collectif. Pendant longtemps, le système international a fonctionné sous la direction du Nord global, en particulier des États nord-américains et européens les plus riches et les plus lourdement armés.
Cette hégémonie est si puissante qu'elle passe souvent inaperçue. Les étudiant•es des universités du Nord qui étudient d'autres parties du monde étudient généralement les intérêts stratégiques des États-Unis et de l'Union européenne dans ces autres parties du monde, ce qui passe pour du bon sens. Les médias qui ont la plus grande portée mondiale présentent leurs reportages sur le monde sous l'angle des intérêts du Nord. Mais notre monde change et cette hégémonie est remise en question.
Les BRICS, dont le sommet s'est tenu en Afrique du Sud cette semaine, fournissent une étude de cas éloquente. Le terme BRIC a été inventé pour la première fois dans un rapport de 2001 rédigé par Jim O'Neill, alors directeur de la recherche économique de la banque d'investissement Goldman Sachs à Wall Street. Dans ce document, M. O'Neill soulignait que le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine étaient les plus grands « marchés émergents » (terme qui renvoie lui-même à l'hégémonie capitaliste, les pays étant définis en fonction de leur valeur pour les investisseurs extérieurs) et qu'ils allaient connaître une croissance plus rapide que les pays du G7. Il a affirmé que l'élaboration de la politique économique internationale, et en particulier le G7, devrait être « ajustée pour intégrer les représentants des BRICs ».
On ne sait pas bien si M. O'Neill a personnellement inventé le terme BRIC ou si c’est son assistante de recherche, une jeune Indienne du nom de Roopa Purushothaman, qui en est à l’origine. Elle est aujourd'hui économiste en chef du groupe indien Tata, dont la valeur est estimée à environ trois fois la capitalisation boursière de Goldman Sachs qui s’élève elle à 106 milliards de dollars. Un autre exemple de l'hégémonie et de son démantèlement peut-être.
Les prédictions d'O'Neill concernant la croissance économique se sont avérées exactes, mais sa prescription d'une plus grande inclusion dans la gestion géoéconomique ne l'a pas été. Néanmoins, ce qui n'était au départ qu'un raccourci permettant aux banquiers d'affaires de Wall Street de parler d'économies à croissance rapide a commencé à prendre une forme réelle.
En 2006, les ministres des affaires étrangères des quatre pays se sont rencontrés en marge de l'Assemblée générale des Nations unies à New York. En 2009, les présidents des quatre États : Lula, Dimitry Medvedev, Manmohan Singh et Hu Jintao ont tenu le premier sommet officiel du groupe. L'année suivante, l'Afrique du Sud a été admise au sein du groupe, ce qui a permis d'ajouter un S à l'acronyme et de représenter le continent africain.
Le groupe des BRICS est encore jeune, mais certains signes indiquent qu'il se développe rapidement, le sommet de cette semaine marquant un tournant potentiel. Principalement exclus du système de gouvernance économique mondiale dominé par les États-Unis et l'Union européenne, les BRICS développent leur propre système par l'intermédiaire de la Nouvelle banque de développement. Sous la direction de l'ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff, qui a pris la présidence de la Banque au début de l'année, la NBD semble prête à étendre son rôle en tant que rivale de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. La Banque dispose d'un capital autorisé de 100 milliards de dollars, qu'elle prête aux pays pour des projets de développement et d'infrastructure sans les conditions d'austérité du FMI. Il est intéressant de noter que lors du sommet de cette semaine, Mme Rousseff a annoncé son intention d'émettre environ 30 % des prêts en monnaie locale, ce qui réduit le risque de change pour le pays bénéficiaire.
Vingt-trois autres pays du Sud ont demandé à rejoindre le club, dont sept des treize pays producteurs de pétrole de l'OPEP. À la clôture du sommet, [six] ont été admis, augmentant ainsi la taille et le poids économique du groupe.
Les médias occidentaux ont largement couvert le sommet en se concentrant sur la géopolitique de la guerre en Ukraine. Mais les participant•es se sont concentré•es sur les grandes questions géoéconomiques : le commerce, le dollar, les sanctions, le développement et le financement des infrastructures.
En effet, les BRICS ne sont ni un bloc anti-impérialiste, ni un bloc socialiste. En effet, selon Xi Jinping (Chine) et Lula (Brésil), il ne s'agit pas du tout d'un bloc. Il s'agit plutôt d'un véhicule par lequel les gouvernements de la majorité mondiale peuvent exprimer et coordonner leurs intérêts géoéconomiques dans un marché mondial dont les systèmes de gouvernance portent tous l'empreinte de l'hégémonie du Nord.
Les BRICS ne sont pas une force morale. Mais leur développement s'inscrit dans un processus historique qui voit l'hégémonie du Nord s'affaiblir et se diviser. Ce processus offre aux forces progressistes du monde entier la possibilité de s'engager de manière critique.
Cet espace potentiel d'action pourrait s'ouvrir non seulement aux forces progressistes du Sud, mais aussi à celles du Nord. L'hégémonie du Nord global n'a pas été celle de tous les peuples du Nord global, mais celle de la classe dirigeante du Nord global. Ainsi ébranlée, la majorité du Nord pourrait s'associer à la majorité du Sud pour construire un monde nouveau sur des bases plus équitables pour tous.

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